Nollet
Jean-Antoine Nollet, né en 1700, était le fils
d'humbles cultivateurs de la région de Compiègne. Elève remarqué au collège de
Beauvais, il allait pour payer ses études de théologie à Paris, entrer comme
précepteur chez Tait- bout, greffier à l'Hôtel de Ville; c'est là que,
s'intéressant à l'émaillage à la lampe, il réussit à monter un petit
laboratoire. Sa dextérité manuelle le fit remarquer par le comte de Clermont,
qui, entiché de sciences, le fit entrer en 1728 dans sa Société des Arts,
groupement assez curieux qui voulait réunir à la fois les Lettres, les
Sciences et les Arts Mécaniques et où Nollet rencontra, entre autres, un jeune
mathématicien prodige Clairault, La Condamine, les grands horlogers Le Roy, J.
Ph. Ram~ et enfin Fontenelle. Son ascension dans le monde savant du XVIIIe
siècle nous est relatée par Torlais (17).
De 1730 à 1732 il allait être associé aux recherches
du savant Dufay, spécialiste de l'électricité, l'un des deux plus grands
électriciens du début du XVIIIe siècle (avec l'anglais Gray) ; c'est Dufay qui
découvrit les deux sortes d'électricité "résineuse" et "vitreuse". Le 11 mars
1732 mourait un certain Chirac, surintendant du Jardin du Roi; vieux et
négligent, il laissait le Jardin des Plantes en mauvais état. Le roi en donne la
direction à Dufay, qui allait être aidé dans sa tâche par le botaniste Bernard
de Jussieu. Ils furent envoyés en Angleterre en 1734, un tel voyage pouvant être
intéressant aussi bien au point de vue de la recherche scientifique que de
l'enrichissement des collections du Jardin. Dufay proposa à Nollet de
l'accompagner et ce dernier put, comme il le dit lui-même, prendre une
connaissance plus exacte et plus certaine de la méthode, des procédés et des
instruments de la Science Expérimentale.
A Londres il rencontra Desaguliers, fils d'un pasteur
émigré de La Rochelle, qui était devenu le démonstrateur de Newton à la Royal
Society, dirigeant les fameuses expériences sur la lumière et les couleurs.
Rencontre étonnante, nous dit Jean Torlais, car les deux personnages étaient
aussi dissemblables que possible. L'un était de haute taille, l'autre large et
massif. L'un était abbé, l'autre pasteur. L'un était tout dévoué au trône et à
l'autel. L'autre avait d'assez fortes raisons de leur en vouloir. L'un était
cartésien, l'autre newtonien. Ils n'avaient en commun que leurs débuts
difficiles et leur actuelle passion pour la physique expérimentale. Nollet a
démonté des machines et mis à profit sa curiosité. Il a vu immédiatement qu'il y
avait des perfectionnements à apporter, des inconvénients à éviter. Desaguliers
avait déjà une longue pratique de cet enseignement si nouveau. Nollet en a
bénéficié et, au reste, a été très apprécié à Londres, le couronnement de son
voyage ayant été son élection à la Royal Society.
Lien
vers Désaguliers.
Entre temps il se vit
confier, en 1733, la direction du laboratoire de Réaumur. Il fallait des
mains habiles pour exécuter les projets de ce dernier, réaliser les
expériences souvent compliquées qu'il imaginait et bâtir les instruments
nécessaires; cette mission, c'est Nollet qui l'a remplie pendant bien des
années, améliorant notamment le thermomètre: c'est lui qui eut l'idée du
calibrage des tubes et choisit la glace fondante comme point fixe.
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Deux ans plus tard, Nollet partait pour la Hollande,
où il rencontra les Musschenbroek, 's Gravesande et Allamand. Les relations
qu'il eut avec eux, prolongées par une correspondance suivie, devaient avoir une
répercussion énorme sur l'avenir de la Science Expérimentale en France.
L'abbé Nollet avait ouvert dès 1735 à Paris un
cours de physique expérimentale dont le succès fut prodigieux et dont les
auditeurs furent des personnes de tout âge, de tout sexe et de toutes
conditions. Il faut dire que, comme l'écrit récemment Bernard Maitte, un public
relativement nombreux pour l'époque a reçu une bonne éducation d'un clergé
intelligent.
Il fallait rompre avec la routine, faire du nouveau
en pédagogie. En mars 1738, Nollet fait paraître l'ouvrage intitulé Programme
ou Idée Générale d'un Cours de Physique Expérimental€ avec un catalogue raisonné
des instruments qui se/-vent aux expériences. Il a beaucoup réfléchi avant
d'entreprendre ce travail. Pour lui la physique expérimentale n'est pas " un
La physique expérimentale, du fait qu'elle est plus
certaine, est plus intéressante; mais elle ne doit être sous la dépendance
d'aucune philo- sophie. Nollet précise nettement son attitude: il ne veut pas
être esclave de l'autorité, affecter d'être newtonien à Paris et cartésien à
Londres. Non, il enseigne une physique établie seulement sur des faits
suffisamment constatés et solidement établis. Il écarte systématiquement les
questions métaphysiques. Sa méthode consiste à choisir dans chaque matière ce
qu'il y a de nouveau, ce qui est le plus propre d' être démontré par des
expériences, puis à exposer l'état de la question et y ramener tout ce qui peut
s'y rapporter dans les arts et ]es machines. Ainsi les principes abstraits sont
mieux assimilés parce qu'entrecoupés d'expériences. Nollet, dont l'habileté
manuelle est prodigieuse, a pris l'habitude d'opérer en parlant, et même
d'employer moins les paroles que l'exposition des faits, s'efforçant d'utiliser
au minimum l'algèbre et la géométrie.
Le 24 avri11739, l'Académie des Sciences
propose au roi la nomination de l'abbé Nollet (il avait 39 ans...) comme
adjoint-mécanicien à la place de Buffon, devenu adjoint-botaniste. Puis il sera
appelé à la cour de Turin pour y faire un cours de physique expérimentale. En
1741, l'Académie de Bordeaux, avec Montesquieu à sa tête, décide
d'acheter un cabinet de physique complet et de demander à l'abbé Nollet d'abord
de présider à la construction des instruments, ensuite, dans une série de leçons
publiques, d'exposer leur fonctionnement et, par des preuves de fait, de mettre
à la
Les 8 premières Leçons
de Physique expérimentale paraissent en 1743 en deux volumes chez
Durand et les 4 volumes suivants ont connu 7 réim pressions (fig. 5). Ils
constituent le développement du Programme. C'est dans ce livre
qu'il va, le premier semble-t-il, associer le Tonnerre et l'Electricité,
et de fait, à la mort de Dufay, Nollet se trouve être en France l'homme le
plus qualifié pour prendre en main la direction des recherches sur
l'électricité; c'est sous l'impulsion de l'abbé Nollet, représentant
des physiciens français, allemands et anglais, que l'enseignement de la
Nollet, qui, en outre, avait découvert l'osmose
en 1748, se heurtera d'abord à Dalibard, puis à Benjamin. Franklin sur la
théorie de l'électricité et surtout sur la paternité de la découverte de
l'origine électrique de la |
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La leçon inaugurale de l'abbé Nollet, le mardi 15 mai
1753, lors de
Non seulement Nollet avait fait de la physique
expérimentale " un plaisir d'amateurs et un divertissement à la mode ", mais
encore le goût des expériences était passé des académies dans l'Université,
et la province ne voulait plus être en retard sur la capitale.
Jésuites et Pères dé l'Oratoire, Pères de la doctrine chrétienne, Pères de Saint
Lazare, aux environs de 1743, instituaient des cours de physique dans leurs
écoles. Nollet signale dans sa préface que l'Université de Reims possède une
collection importante d'instruments; qu'à Montbéliard il y a un cours
supplémentaire de physique, à Marseille une salle de machines et la soutenance
de thèses de physique, à Bordeaux enfin une école de physique. Pont- à-Mousson
en 1759, Caen en 1762, Draguignan en 1765 auront dans leurs collèges une chaire
de physique expérimentale. On vendra à la Sorbonne des cahiers de cours avec des
figures de démonstrations expérimentales.
Nollet, nommé à la place de Réaumur à l' Académie
Française en 1757, Académie qu'il va bientôt présider, à partir de 1758, aura le
titre et la fonction de maître de physique des Enfants de France, ce qui
aura pour effet d'installer définitivement la physique expérimentale à la cour
de France.
Elle faisait également partie maintenant du programme
des Ecoles d'artillerie et de l'Ecole Royale du Génie de Mézières où
Nollet, professeur prestigieux, après avoir eu Lavoisier pour élève, aura
Gaspard Monge pour aide de physique, puis pour successeur. Ainsi le XVIIIe
siècle aura vu naître un personnage nouveau, ancêtre de l'ingénieur
moderne, un technicien sachant appliquer les mathématiques aux problèmes de
son art et possédant une formation scientifique qui bientôt sera au service de
l'Etat. La Révolution tirera ensuite parti de cette tendance en créant des
écoles où l'enseignement scientifique veut correspondre aux besoins d'une
structure économique en cours de pré-industrialisation : Conservatoire des Arts
et Métiers, Ecole Centrale des Travaux Publics qui deviendra ensuite l'Ecole
Polytechnique), Collège de France (ex Collège Royal) et Muséum
L'abbé Nollet publiera
encore en 1770 l'Art des Expériences, 3 volumes qui constituent sa
dernière oeuvre, dans laquelle il décrit avec précision et minutie la
façon de fabriquer les instruments. Il vulgarise le travail du bois, des
métaux, du ver!e, décrivant les outils nécessaires, la manière de s'en
servir, donnant les moyens de préparer les couleurs, les vernis, les
ornements. |
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Ainsi il va, avec sa méthode admirable, qui est de ne rien laisser dans le vague et de n'oublier aucune opération qui pourrait embarrasser l'amateur, pouvoir être considéré comme un précurseur de l'enseignement technique, en ce XVIII" siècle qui a été celui des bons ouvriers. Mort le 4 avril 1770 à 70 ans, il aura pour successeur au collège de Navarre Jacques- Mathieu Brisson, neveu de la belle-soeur de Réaumur, dont il sera le démonstrateur. Excellent pédagogue, Brisson héritera en outre des appareils de Nollet, qu'il revendra à Boulongne en 1792; le cabinet sera saisi à la Révolution et sera transporté en 1799 au C.N.A.M. (Conservatoire National des Arts et Métiers) où il est encore, à côté de celui de Charles, qui fut, après Nollet, le Vulgarisateur le plus prestigieux de la fin du XVlle siècle, le calcul intervenant maintenant beaucoup plus souvent dans les expériences qu'au milieu du siècle (on citait comme un modèle le fameux billard de marbre du " citoyen Charles ", rare assemblage de choses remarquables qui permettait à son propriétaire de proposer à ses amis des problèmes de mécanique et de balistique qu'ils résolvaient en commun).